Connue pour son paysage politique diversifié, la France a connu des changements majeurs dans les tendances de vote de la classe ouvrière au cours des trente dernières années. Jadis bastion du Parti communiste français (PCF), la classe ouvrière se tourne désormais plus résolument vers des partis traditionnellement associés à l’extrême droite qu’elle considère sans doute plus apte à défendre ses intérêts. Cette transformation soulève des questions fondamentales sur l’évolution socio-politique en France et sur les définitions associées à la gauche. Cet article explore cette mutation et tente de fournir quelques clés pour comprendre les dynamiques sous-jacentes de ce changement.
L’hégémonie du PCF et le déclin progressif
Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, le PCF a émergé comme une force politique majeure en se présentant comme le champion de la classe ouvrière. Ce parti a joui d’un large soutien populaire, notamment grâce à son rôle pendant la Résistance et son alignement avec les idéaux marxistes.
Cependant, le paysage politique a commencé à changer dans les années 1970. Des facteurs multiples, tels que l’intervention soviétique dans divers pays, les mutations sociétales post-68, et l’émergence d’une classe moyenne plus importante, ont contribué au déclin progressif du PCF. Une fraction des classes moyennes s’est aussi recentrée en choisissant le rose du PS plutôt que le rouge des origines.
L’ascension de l’extrême droite et le changement de paradigme
Dans la deuxième partie des années 80, l’extrême droite, incarnée par le Front National (FN) rebaptisé plus tard le Rassemblement National (RN), a connu une ascension remarquable. Initialement marginalisée, cette tendance politique a gagné du terrain, en particulier parmi les électeurs moins diplômés et les ouvriers. Selon l’analyste Jerome Fourquet, l’écart entre les diplômés et les moins diplômés dans le vote d’extrême droite s’est considérablement creusé, passant de 7 points en 1988 à 23 points en 2017. En 2022, près de la moitié des ouvriers avaient l’intention de voter pour le RN, un changement plutôt radical par rapport aux décennies précédentes.
Plusieurs facteurs ont influencé cette transition. La désindustrialisation, le sentiment de relégation sociale, et un ressentiment croissant envers les élites ont poussé une partie significative de la classe ouvrière vers l’extrême droite. Les masques sont aussi tombés du côté du PS et la mondialisation, comme les pressions européennes ont montré à l’ouvrier français qu’il n’était plus nécessairement protégé par une certaine gauche. Le FN/RN a capitalisé sur ces sentiments, offrant un discours qui résonne avec les préoccupations des ouvriers face à un monde en mutation rapide. Parallèlement, le PCF a perdu sa résonance avec sa base traditionnelle, ne parvenant pas à s’adapter aux nouvelles réalités socio-économiques et culturelles.
Au début des années 1990, la chute du mur de Berlin, comme celle de l’URSS ont aussi donné lieu à une exécution en règle des préceptes marxistes par le système. En ringardisant en quelque sorte le communisme comme la lutte des classes, le capitalisme s’est déclaré vainqueur avec guère d’opposition en face pour le contrer. A quarante de là, force est de constater que toutes ces grandes déclarations de principe n’ont rien changer, quelles que soient le nombre de (fausses) couches sociétales que l’on essaye d’intercaler entre les hommes et leur réalité sociale.
La gauche française divisée : le cas des présidentielles 2022
Lors des élections présidentielles françaises de 2022, la gauche a fait face à une division marquée, illustrée par la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Bien qu’il ait gagné en popularité, passant de 10 à 16 % des intentions de vote, Mélenchon a dû naviguer dans un environnement politique fragmenté. D’autres candidats de gauche, tels que Jadot et Hidalgo, ont été critiqués pour leur positionnement plus proche de Macron et pour leur contribution involontaire à la division de la gauche, au profit de Marine Le Pen. Le centre mou et absorbant séduit les carriéristes de tous bords et fausse le jeu, c’est désormais avéré. Macron a su en tirer partie.
Cette division s’est étendue au-delà des candidatures principales, affectant la dynamique électorale globale. Les efforts de Mélenchon et ses soutiens de la France Insoumise pour unir la gauche se sont heurtés à des obstacles significatifs, reflétant les défis persistants de cohésion au sein de la gauche française. La personnalité de Mélenchon s’il se veut rassembleur n’y est peut-être pas étrangère même si les données historiques ont changé : difficile de refaire le coup de l’union mitterrandiste à quatre décennies de 81.
La gauche française aujourd’hui
Selon la dixième édition du baromètre Ifop publié lors de la Fête de l’Huma, 43% des Français s’identifient à la gauche en 2023, malgré une légère érosion ces dernières années. Ce baromètre révèle une identité de gauche toujours définie en contraste avec la droite, avec 76% des sympathisants de gauche reconnaissant des différences nettes entre les deux.
L’immigration est un clivage majeur : 53% à gauche voient en elle un avantage pour la France, contre seulement 24% à droite. De même, 67% des sympathisants de gauche soutiennent le droit de vote aux élections municipales pour les étrangers résidant en France depuis plusieurs années, contre 33% à droite. Concernant les violences policières, 69% à gauche les considèrent comme une réalité, contre 41% à droite.
Jean-Luc Mélenchon restait encore le favori des sympathisants de gauche, mais s’est trouvé concurrencé par le communiste Fabien Roussel. Malgré des doutes sur l’avenir de l’alliance NUPES, la majorité des sympathisants de gauche espèrent une coalition pour les élections européennes de 2024. Pourtant l’implosion de la NUPES couve déjà et pour certains au sein de l’alliance, Mélanchon commence à devenir encombrant.
Face au carriérisme et à l’ambition individuelle de chacun, y-a-t-il encore la place pour une union véritable à gauche ? Si oui, peut-être devrait-elle se faire sur d’autres bases qu’électoralistes pour convaincre ? Peut-être les représentants qui se disent de « gauche » devront-ils enfin cesser d’être politiciens, caviar et opportunistes pour renouer avec les racines authentiques d’un vraie gauche ? La question de savoir s’il sera alors possible de ramener la frange ouvrière (partie de longtemps chez les Lepen) reste entière et centrale.